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logo Automates IntelligentsInterview : Gilbert Chauvet,
physiologiste intégrateur
propos recueillis le 16 janvier 2002
par Jean-Paul Baquiast et Christophe Jacquemin

Gilbert Chauvet est responsable du module "Réseaux Neuronaux - Modélisation des fonctions physiologiques" du DEA d'Informatique BioMédicale de RENNES I, PARIS V et PARIS VI.
Il dirige le Service de Biostatistiques et modélisation informatique au CHU d'Angers.
Né en 1942, il a terminé des études en Mathématiques Pures et Mathématiques Appliquées (Poitiers, 1965) avant d'obtenir en physique un Doctorat de 3ème cycle en Physique du solide (Nantes, 1968) et un Doctorat ès-Sciences en physique moléculaire théorique (Nantes, 1974), puis un Doctorat en médecine (Angers, 1976). De 1968 à 72, il a été maître-assistant de Mathématiques (Nantes), de 1972 à 76 Chef de travaux-Assistant de biomathématiques à l'université d'Angers.
Nommé Professeur de Biostatistiques-Informatique médicale à l'université d'Angers en 1976, il se spécialise dans la modélisation des fonctions physiologiques, d'abord sur le système respiratoire, puis sur le système nerveux. Il recherche ensuite une théorie générale de l'organisation fonctionnelle. Ces travaux se concrétisent par un traité de physiologie théorique en trois tomes paru en 1987 et 1990 chez Masson, actuellement édité en langue anglaise par Pergamon Press (Elsevier) : "Theoretical systems in Biology", version mise à jour et largement étendue.
Il a été nommé Research Professor de neurosciences du comportement à l'Université de Pittsburgh en 1990, puis en biomédical engineering (University of Southern California) à Los Angeles en 1992.
Ses recherches actuelles portent sur la conception d'une théorie du champ dans les systèmes biologiques, et sur la représentation topologique de ces systèmes. Les applications portent sur le cervelet, l'hippocampe et les grandes fonctions physiologiques.

 Pour en savoir plus
- le DEA d'Informatique BioMédicale de RENNES I, PARIS V  et PARIS VI http://www.med.univ-rennes1.fr/plaq/dea/modules.html#Module_1
- CHU d'Angers Service Biostatistiques et modélisation informatique http://www.ibt.univ-angers.fr/sbmi/
- USC neuroscience graduate program, computational neuroscience and neural engineering http://www.usc.edu/dept/nbio/ngp/


- Ouvrage de Gilbert Chauvet : La vie dans la matière, Flammarion, 1998 (voir notre fiche de lecture)
- Theoritical systems in Biology, Pergamon Press (Elsevier, 1996)

AI : Dans votre livre "La vie dans la matière", que nous avons chroniqué(1) vous dites finalement qu'il faut inventer les mathématiques du vivant ?

Gilbert Chauvet : Effectivement. Le problème aujourd'hui, c'est que les gens vont vers la facilité. Comme c'est plus facile de faire de l'informatique classique, c'est-à-dire des algorithmiques finalement non analytiques, eh bien l'on fait cela plutôt que des mathématiques. Ce qui conduit au développement des algorithmes évolutionnaires et de toutes sortes de choses -qui donneront certainement dès résultats, je ne dis pas que ce n'est pas bon- mais qui ne donnent pas les propriétés fondamentales lorsque l'on croit en l'intelligibilité mathématiques de la nature. On peut croire, ou ne pas croire. En tous cas, moi je crois à cette intelligibilité. Beaucoup des difficultés actuelles viennent de là mais heureusement, il existe quand même un certains nombre de neurobiologistes qui pensent que les mathématiques sont plus importantes que ce qu'on appelle le pur "computing", l'approche computation. Nous avons d'ailleurs créé un journal. Beaucoup de gens pensent maintenant qu'il s'agit d'une approche qui pourrait s'avérer nécessaire.

AI : On ne fait pas des mathématiques juste comme cela, sans projet de développement...

Gilbert Chauvet : Mon objectif est de comprendre les fonctions physiologiques et l'intégration de ces fonctions. Et faire de l'intégration sans mathématiques, je voudrais que l'on m'explique. Je ne vois pas du tout comment on peut faire sans s'en passer. Parler de physiologie intégrative et ne s'appuyer uniquement que sur le côté expérimental, je n'y vois là rien de plus que ce que faisait Claude Bernard lorsqu'il étudiait un organe. Pour nous, la physiologie intégrative va beaucoup plus loin que cela : il s'agit de recomposer un phénomène macroscopique à partir des niveaux microscopiques. C'est donc finalement  la reconstruction du vivant. Et cela ne va pas sans poser des problèmes multiples...

AI : Quand nous abordons avec d'autres personnes cette question de la mathématique de la vie, de la mathématique des organismes, on nous dit  que ce n'est pas intégratif, que les mathématiques ne permettent pas de donner un modèle qui soit utilisable pour la prévision dans les systèmes complexes et évolutifs, chaotiques, parce qu'il y a l'incertitude sur les données initiales, ce qui fait qu'un modèle, aussi précis soit-il au départ, ne donnera jamais que des prévisions éclatées... Qu'en pensez-vous?

Gilbert Chauvet : Parler ici de "mathématique de la vie" n'est pas un bon terme car, de mon point de vue, c'est plus ici la formulation mathématique en elle-même que la résolution mathématique qui est importante. Pour ce qui concerne la vision quantitative, je dis souvent qu'"en biologie, on n'est pas à 10-10 comme en physique... Mais si on arrive déjà à trouver correctement le comportement d'un phénomène, c'est déjà pas mal".
En physique, le problème est de trouver des constantes à 10-10 près. En biologie, l'objectif  réside essentiellement dans l'intégration des connaissances...
Bien sûr, on peut toujours dire que c'est très bien de formaliser, de trouver un système d'équations. Mais évidemment, il faut aller plus loin. Car la résolution elle-même, de mon point de vue, est un autre problème. Que font d'ailleurs actuellement tous les algorithmes de computing, utilisés par exemple en neurobiologie ? Eh bien, avec eux, il s'agit de partir d'équations qui existent, de simuler ces équations d'un point de vue purement informatique et d'étendre les choses, toujours d'un point de vue purement informatique. A la base, il y a donc un fondement mathématique. Donc, quoi qu'il en soit, il faut toujours avoir une idée mathématique de ce qui se passe... Alors on peut pousser les idées mathématiquement plus loin, comme on le fait en physique, afin d'en faire une théorie, un formalisme spécifique qui permet de décrire les phénomènes. C'est en tous cas ce que j'essaie de faire.

AI : Et en déduire peut-être des propriétés mathématiques... Qu'en disent les physiciens ?

Gilbert Chauvet : Devant mes systèmes, j'ai pu entendre des formules à l'emporte pièce, du genre : "on ne peut pas me faire croire que les trous noirs c'est moins compliqué qu'un neurone. Faut pas pousser du point de vue mathématique" ou encore "simuler une explosion nucléaire sur un ordinateur, vous croyez que ce n'est pas plus compliqué que le fonctionnement d'un neurone ? Vous savez, maintenant, j'ai l'habitude... C'est simplement parce que l'on ne met pas assez de gens sur ces questions, qu'ils ne s'y intéressent pas. Peut-être aussi parce que ce n'est pas assez connu...

Il faut bien voir comment sont organisées aujourd'hui les disciplines. Qui pourrait s'intéresser à ce type de démarche ? Les physiciens ? En tant qu'ex physicien théoricien, et du point de vue intellectuel, il n'y  pour moi aucune différence entre un phénomène purement physique et un phénomène physiologique. Je ne fais pas une analogie lorsque je dis cela. Il s'agit simplement d'une attitude de pensée, d'une sorte de réflexe, qu'il faut constamment avoir. Seulement, demandez à un physicien de haut niveau -et il faut être de haut niveau pour s'attaquer au problème- de s'intéresser à ce genre de chose... Il n'a pas intérêt. Car si il est déjà arrivé à ce niveau-là, c'est parce qu'il ne s'intéresse qu'à la physique. Vous savez, moi, la physique, j'ai eu du mal à en partir. Cela ne s'est pas fait tout seul...

AI : Pourquoi ?

Gilbert Chauvet : Je savais ce que je perdais. Partir du cocon, c'était passer de 10-10 -comme je vous l'expliquais tout à l'heure- à quelque chose d'incertain. Et ce n'est pas évident d'agir ainsi, lorsque l'on a la rigueur mathématique. Un mathématicien va alors vous demander pourquoi les mathématiques de la vie -comme vous dites- seraient des objets exclusivement en génétique. Et pourquoi les statistiques se sont-elles développées, et pas la physiologie ? On peut effectivement se poser la question, qui appelle une réponse triviale : c'est parce que la physiologie n'est pas aussi simple que la génétique. Prenez l'équilibre acido-basique, par exemple. C'est extrêmement compliqué. Si vous n'êtes pas spécialisé sur le sujet depuis une dizaine d'années, il est impossible de bien comprendre ce qui se passe. Cela nécessite de posséder une solide formation, de solides connaissances expérimentales, et d'avoir préalablement éliminé l'esprit mathématique ou physique que l'on pouvait avoir sur la question... Dans ce cas-là, vous n'allez trouver personne...

AI : Lors d'une interview sur France Culture, vous avez dit que si nombre de disciplines abordaient en partie ces concepts,  personne n'en faisait la synthèse. Il n'y a pas d'essai de rapprochement vers un contenu global ?

Gilbert Chauvet : Je pense que cela n'intéresse personne, ou si peu. Il faut être un peu illuminé comme moi pour vouloir faire cela. En tous cas, ne pas avoir de barrières intellectuelles, ce qui finalement signifie ne pas faire partie d'un réseau. Quoique, finalement, ce n'est pas tout à fait vrai, car grâce au journal que nous lançons sur internet, dont je vous parlais tout à l'heure, nous avons trouvé un certain nombre de scientifiques que tout cela intéresse...

AI : Quel journal ?
Journal of Integrative NeuroscienceGilbert Chauvet :
 
Le "Journal of Integrative Neuroscience" (JIN)(2), dont je suis le chief editor. Il comprend aussi quatre editor associés -de nationalité américaine, anglaise, japonaise et bésilienne- et une équipe éditoriale composée de 38 membres provenant de 10 pays. JIN s'adresse autant aux théoriciens qu'aux expérimentateurs intéressés par l'avancement des neurosciences intégratives : neurobiologistes des systèmes, biophysiciens,  neuro-physiologistes, neurologues, psychiatres, psychologues, spécialistes des sciences cognitives, spécialistes de la bio et de la neuro médecine, biomathématiciens, spécialistes de la neuroanatomie quantitative et fonctionnelle... L'objectif est de construire un forum dynamique, autour d'une synthèse des sciences du cerveau, à travers l'intégration fonctionnelle des phénomènes. Le champ considéré est très large, allant des problèmes de la cinétique moléculaire à la compréhension de la conscience, aussi bien que le contrôle neural d'autres fonctions physiologiques... Nous encourageons les papiers originaux et de grande qualité qui combinent la théorie et l'expérimentation, aussi bien que les papiers théoriques qui décrivent les nouveaux modèles qui favorisent la vérification expérimentale.

AI : Pourquoi ce journal n'aborde-t-il que l'aspect neurosciences intégratives ?

Gilbert Chauvet :  Parce que c'est ce qu'on me demande... Et puis, j'ai plutôt plus appliqué mes travaux en neurosciences qu'ailleurs.

Pour compléter ce que je vous disais précédemment sur le cloisonnement, il est vrai que les mathématiciens ont leur propre discipline. Donc pour qu'ils s'intéressent à ce qui se passe ailleurs, il faut vraiment que cela soit important, ou considéré comme important par les autres disciplines. Pour moi, étudier la stabilité d'un système hiérarchique, c'est déjà mathématiquement un problème difficile. Un problème solide. A ma connaissance, aucun mathématicien ne s'y est intéressé. Les problèmes de hiérarchie ne semblent pas les passionner. On ne peut en dire de même du théorème de Fermat...

AI : A propos du cloisonnement, ce que vous dites rejoint ce que nous disait Jean-Arcady Meyer, patron du LIP6, dans une de nos précédentes interviews(3) : les mathématiciens ne verront pas de gloire à faire de la robotique sur un insecte. Idem pour les biologistes ou les neurologues... A ce sujet, quels rapports entretenez-vous avec la robotique ?

Gilbert Chauvet: Le cervelet est un des domaines sur lesquels j'ai le plus travaillé, parce qu'il est lié à la coordination des mouvements. Ma discipline étant la médecine, c'est tout naturellement que je me suis intéressé au problème des handicaps, problème qui débouche par ailleurs sur la robotique. Cela a été extrêmement difficile. Et pourtant nous avons été quand même à l'origine des réseaux de neurones. Au départ, les gens ne séparaient pas les choses : ils parlaient de réseaux de neurones, qu'il s'agisse de désigner les réseaux réels ou les réseaux de neurones artificiels. Maintenant, on fait la distinction. Et pourtant, nous en sommes bien à l'origine. Voici un exemple typique de séparation. Pour les réseaux de neurones artificiels, il fallait prendre des automates, ou des choses simples comme les verres de spin, pour arriver à démontrer que c'était vrai, il fallait n'utiliser que quelques théorèmes. En tout cas, travail très limité et bien insuffisant pour ceux qui se consacrent à l'étude des réseaux de neurones biologiques. Il y a au moins six niveaux d'organisation. Comment montrer les interactions entre groupes de neurones en tenant compte des propriétés des neurones, de l'émergence générale? Mais, il ne s'agit pas, à mon avis, d'une opposition. On voit bien qu'il y a deux secteurs complètement différents. D'une part, celui des réseaux de neurones artificiels, qui concerne les applications -il faut que cela existe car cela peut être un excellent moyen de démontrer des théorèmes. D'autre part, celui des réseaux de neurones biologiques, où l'on essaie de comprendre comment fonctionne l'organisme avec ce réseau.

AI : A priori, c'est une boîte noire incompréhensible. Il vous faut donc des outils pour entrer progressivement dans cette boîte. Soit les mathématiques, soit l'image. Un homologue du système informatique en réseau dans une certaine mesure...

Gilbert Chauvet: Dans mon système, la partie topologique, que j'appelle l'O-SBF(4), ressemble un peu à l'internet. C'est un réseau de liaisons avec, en chaque noeud, la possibilité d'avoir d'autres liaisons. Mais si Internet est un système qui peut, tout comme le mien, être hiérarchique, il n'y a pas les lois de la biologie là-dedans. Tandis que moi, pour le développement, j'introduis des caractéristiques de la biologie, comme par exemple le taux de reproduction, etc.

AI : vous partez quand même de proche en proche, d'un mécanisme que l'on peut identifier...

Gilbert Chauvet: Oui, par des mécanismes décrits mathématiquement pour recomposer des structures plus importantes. Et c'est là qu'est le succès.

AI : Et à un moment, vous tombez sur un blocage, et vous êtes forcés de découvrir quelque chose qui n'était pas apparent ? Le non visible, le non apparent pour vous n'apparaît certainement pas par miracle...

Gilbert Chauvet: Non. C'est une propriété mathématique de l'ensemble. Une propriété émergente au niveau supérieur de l'organisation. Mais on ne peut la trouver que mathématiquement. J'ai fait au départ beaucoup de simulation pour arriver à trouver. Par exemple, pour les réseaux de neurones, j'ai trouvé les propriétés, mathématiquement, des règles d'apprentissage au niveau supérieur de l'organisation, qui sont déduites des règles d'apprentissage au niveau des neurones. Ce n'est pas visible comme ça. Cela permet effectivement mathématiquement et algorithmiquement, par exemple, de rendre compte de la coordination des mouvements. Donc la coordination des mouvements n'est plus un problème d'équations. Il s'agit simplement maintenant de disposer de gens pour continuer à développer et de trouver des applications.

AI : Essayons de bien comprendre : vous avez au départ une hypothèse qui vous est fournie par la mathématique ...

Gilbert Chauvet: Non, c'est par l'expérience, par les sciences expérimentales. C'est comme en physique où l'on a des mécanismes et qu'on essaie de trouver des lois générales, des principes généraux. Et la question, pour moi, est toujours : quels peuvent être des principes généraux communs à la physiologie ?

AI : Vous partez de l'expérience. A partir de cela, vous écrivez une formalisation. Une fois que vous avez ces équations et que vous les appliquez, vous trouvez d'autres choses qui vous permettent d'affiner la formalisation ?

Gilbert Chauvet: Je ne suis pas tout seul à faire cela. Ce dont vous me parlez-là, c'est de la modélisation mathématique. Vous savez, il existe quantité de modèles mathématiques des organes et des organismes.. Mon travail s'applque à essayer de trouver un cadre conceptuel, c'est à dire une théorie permettant d'intégrer ces modèles, mais pas n'importe comment. Parce que si vous ne prenez pas des systèmes hiérarchiques, si vous ne mettez pas tout en fonction du même élément -en ce qui nous concerne l'interaction fonctionnelle, qui nécessite aussi deux concepts fondamentaux que sont la non-symétrie et la non-localité (voir note 6)- , eh bien vous faites de la modélisation ...binaire, si je puis dire, qui ne va pas plus loin que la modélisation d'un organe, avec les hypothèses que cela implique. Et  là, des hypothèses qui sont a-priori.

AI : Vous estimez avoir une bonne partie de ces concepts intégrateurs. Quelle est la suite de votre travail ?

Gilbert Chauvet: C'est l'écriture du système informatique, permettant de travailler d'une façon générale. Si, en physique, tout est modélisation, ce n'est pas du tout évident pour la biologie. Très peu de biologistes l'utilisent.
La différence essentielle entre la physique et le biologique, et contrairement à ce que pense I. Prigogine, c'est qu'on ne peut pas raisonner par analogie sur l'acquisition de forme pour dire "cela doit se passer comme cela". Il n'y a pas de commune mesure entre les deux domaines. Et même si le résultat est apparemment le même, les mécanisme sont totalement différents. La question à se poser est alors la suivante : y-a-t-il  ou pas des principes généraux propres à la biologie... Parce que si l'on prend des principes généraux de la biologie, ce n'est que de la physique. Et ce qui différencie la physique de la biologie, c'est la physiologie. Ce n'est déjà pas évident pour un biologiste de l'accepter, que ce soit au niveau de la cellule ou au niveau du gène, car la dynamique du gène existe. C'est pour cela que tant que l'on n'aura pas les mécanismes qui nous donnent, au moins du point de vue expérimental, comment les transpositions ont lieu en fonction du temps, on ne pourra établir la dynamique du gène. Mais cela existe.
Mais la grande différence, du point de vue utilisation, entre la physique et la biologie, c'est qu'à chaque fois qu'un physicien travaille sur quelque chose, il apporte une pierre à l'édifice car tous utilisent le même cadre conceptuel. C'est un monument qui grandit. En biologie, cela ne se passe pas du tout de cette façon. La modélisation n'y avance pas vraiment, et cela depuis plus de 30 ans, parce que chacun fait son modèle avec des valeurs de paramètres différentes, et avec une hypothèse supplémentaire, qui aurait dû être vue si on avait eu un cadre conceptuel commun. Il n'y a rien de commun entre tous les biologistes, sauf probablement entre les expérimentalistes... mais ce ne sont que des expériences...

AI : Comment verriez-vous ce cadre commun pour les biologistes ?

Gilbert Chauvet: De mon point de vue, il ne peut être qu'informatique. C'est tellement compliqué qu'on ne pourra faire autrement que d'utiliser un système informatique réel. Et c'est ce qu'on essaie de réaliser en ce moment.

AI : Pouvez-vous préciser...

Gilbert Chauvet: On décrit d'abord l'organisation fonctionnelle à partir des interrelations. On met cela dans la machine. La dynamique du système est déterminée ensuite automatiquement par la machine. Parce que l'on a un formalisme général. Il me faudrait ici entrer dans le détail, mais sachez que chaque opérateur dans les équations du champ est un modèle spécifique qui existe déjà. Donc, il s'agit simplement là, si je puis dire, d'une adaptation. Mais cela demande de disposer de gens qui étudient ce problème en fonction de la théorie existante. C'est comme si, par exemple, vous essayiez de faire de la physique sans connaître la mécanique quantique. Il faut un cadre conceptuel commun. Et comme il ne pourra pas être utilisé par les biologistes purs et durs, du moins au début, c'est à dire que tant que l'éducation ne serait pas faite, ce qui à mon avis demandera une dizaine d'années, nous serons obligés de passer par un système informatique, de telle sorte que les gens n'auront pas tellement à se poser de questions. Je parle ici de la finalisation industrielle, c'est-à-dire avec un programme  informatique qui ne se plante jamais... Ce sont des choses compliquées, qui devront être maintenues en permanence avec de grosses équipes...

AI : C'est cela l'objectif dont vous nous parliez...

Gilbert Chauvet: Oui. Si les biologistes avaient cet outil, celui qui travaille par exemple sur les canaux, sur leur structure, n'aurait plus qu'à appuyer sur un bouton pour voir ce qui se passe au niveau de l'activité de ces canaux. Et cela changerait tout. Et puis, il pourrait avoir tous les niveaux intermédiaires....

AI : Revenons à la partie informatique de votre projet. Comment allez-vous procéder ? Classiquement, en réalisant un cahier des charges  ? Quels outils utiliserez-vous ?

Gilbert Chauvet : Il s'agit d'analyse numérique, de la programmation des équations mais avec un accès automatique aux données. En d'autres termes, de l'inter-relation entre modèles, c'est-à-dire des entrées, des sorties. Ce sont des équations à résoudre. Seulement, passer d'un système d'interaction fonctionnelle -ou d'un graphe mathématique - suppose une interprétation physiologique...

AI : Mais les outils informatique  pour cela existent déjà... Vous n'allez pas les réinventer ?

Gilbert Chauvet : Oui, tout existe. Enfin ils sont plus ou moins sophistiqués. J'ai travaillé en Fortran, après je suis passé en Pascal, puis il a fallu tout transformer en C++ , puis maintenant réécrire tout en Java. Chaque fois, il faut avoir des gens avec soi, ce n'est pas possible. Je travaille avec un excellent mathématicien et qui programme très vite et très bien. Le problème n'est pas là. L'idéal serait que la même personne fasse tout, moi en l'occurrence, mais ce n'est pas possible. Donc, lorsque l'on se met à deux, il faut que le deuxième puisse comprendre ce que je veux faire, comprendre l'interprétation des équations, connaître les lois et la théorie...

AI : Votre approche est totalement matérialiste... Vous n'y mettez pas une pulsion créatrice, déiste ?

Gilbert Chauvet : Non, mais on pourrait parler d'intelligibilité mathématique. Pourquoi les mathématiques rendent compte de tout cela ?

AI : Les mathématiques au sens des mathématiques archaïques...

Gilbert Chauvet : Non. La question est "pourquoi y-a-t-il une interaction fonctionnelle entre telle unité et telle autre ? Personne ne s'est posé la question En fait, cela revient uniquement à un problème de stabilité mathématique. Disons que si ce n'était pas stable, cela n'existerait pas...

AI : En vous écoutant, on se demande pourquoi vous n'êtes pas plus connu...

Gilbert Chauvet : La raison vient peut-être du fait qu'il est difficile de comprendre mes travaux, nécessitant pour cela une très solide formation en mathématiques, en physique et en biologie...
J'assistais récemment à une thèse sur le métabolisme phospho-calcique. L'étudiant avait passé quatre ans sur la résolution d'un système d'équations aux dérivés partielles, pour un jeu de paramètres. Je lui ai fait remarquer qu'il fallait rajouter un terme dans son équation, qui manifestement manquait, dans l'interprétation physiologique. Et cela mettait finalement en l'air toute sa thèse. Vous voyez ce que je veux dire. C'est-à-dire que si il y avait eu un cadre conceptuel comme celui que je propose, et si il l'avait utilisé, cet étudiant aurait vu que supprimer une interaction entraînait forcément des problèmes. Alors, plutôt que de passer quatre ans à résoudre son système, ce qui n'apporte finalement rien du tout puisque cela ne prend en compte qu'un seul jeu de paramètre, il aurait mieux fait, par exemple, de déterminer l'organisation fonctionnelle de son système. Mais pour cela, encore fallait-il avoir de solides notions en biologie... C'est toute une éducation.

AI : Vous travaillez aussi aux Etats-Unis. Y Trouvez-vous une meilleure réceptivité du milieu scientifique ?

Gilbert Chauvet : Oui, sans aucun doute.

AI : Alors pourquoi, et c'est tout à votre honneur, ne vous-être vous pas établi outre atlantique ?

Gilbert Chauvet : C'est un peu le même problème qu'en France. C'est-à-dire que pour arriver à quelque chose, soit vous vous lancez et puis vous passez progressivement de la science à la politique - il n'y a plus de science, il y a de la politique scientifique. Ou bien vous avez une idée fixe et vous persévérez sur vos travaux. Mais à ce moment là, vous risquez d'être complètement marginalisé. Et dès lors, comment créer un réseau lorsque vous n'avez rien à montrer?

AI : On manque drastiquement aujourd'hui d'outils pour la gouvernance. Nous sommes face à un chaos et subissons les événements au coup par coup. Pourrait-on dire que votre projet fournirait parallèlement, ou ultérieurement, les outils mathématiques conceptuels pour les gouvernements des sociétés, afin que les sociétés ne soient pas des systèmes automatiques fonctionnant sur le monde biologique darwinien, sans possibilité de contrôle ?

Gilbert Chauvet : Je ne suis pas expert dans le domaine des sciences humaines. J'hésite toujours à étendre... Les sciences humaines ne sont pas des sciences exactes. Moi, ce que j'essaie de faire, c'est une science exacte de la biologie.

AI : Il faudrait qu'elle le devienne
Gilbert Chauvet :
Elle ne peut le devenir qu'avec des outils conceptuels à sa disposition,. Elle ne peut le devenir uniquement avec des expériences. Des théories naissent, un cadre conceptuel existe. J'ai fait en sorte que cela s'applique en biologie. Est-ce que cela peut s'appliquer en sociologie ? Oui, sûrement du point de vue des interactions. Mais le potentiel d'organisation fonctionnel, ou des choses comme cela, sont déduits des propriétés du vivant. Ce n'est sûrement pas adapté aux sciences humaines. Peut-être cela peut être adaptable, mais en tous cas sous une autre forme. Peut-être que l'idée est bonne...

AI : Vous pourriez intéresser les gens qui se posent ce genre de questions. Peut-être devriez-vous vulgariser vos travaux. Vous nous dites finalement que ce qui différencie la biologie de la physiologie, c'est que la physiologie s'attaque aux fonctions. Mais qui le sait ?

Gilbert Chauvet :
C'est vrai que l'on m'a déjà posé la question, durant un exposé s'adressant à un auditoire intéressé par la biologie théorique : "excusez-moi, mais qu'est ce que la physiologie ?"

AI : Puisque vous nous dites que les scientifiques ont déjà du mal à comprendre, comment voulez-vous intéresser les journalistes ?

Gilbert Chauvet : Je travaille en ce moment sur l'écriture de deux petits livres. Un, plus concis que La vie dans la matière, et un autre qui ferat la synthèse de tous mes travaux.



(1) Voir notre note de lecture du livre de Gilbert Chauvet : "La vie dans la matière, le rôle de l'espace en biologie" http://www.automatesintelligents.com/biblionet/2001/aout/g_chauvet.html Remonter d'où l'on vient
(2) Cf : http://www.worldscinet.com/jin/jin.shtml
Remonter d'où l'on vient
(3) Cf : http://www.automatesintelligents.com/interviews/2001/oct/guillot_meyer.html Remonter d'où l'on vient
(4) Organisation des fonctions biologique d'un Système Formel (O-SBF)
Graphes "superposés" représentant la topologie (système O-SBF) et les processus (système D-SBF) avec lPour Gilbert Chauvet l'interaction fonctionnelle constitue la base du phénomène biologique. Cette interaction, être mathématiquement abstrait représentant aussi bien un potentiel électrique, une concentration moléculaire, un niveau de saturation, ou n'importe quel paramètre biologique, introduit 3 éléments : la source, le puits , et la transformation à l'intérieur du puits. L'interaction possède aussi au moins deux propriétés : la non-symétrie  (source-puits) et la non localité.
S'agissant de la combinatoire des interactions fonctionnelles, l'ensemble des sources, des puits, et de leurs interactions peuvent, selon Gilbert Chauvet, être représentées  -pour un système biologique formel- par un graphe mathématiques (voir figure).
La source et le puits sont deux points sur cette figure, l'interaction est un arc orienté entre ces deux points. Le sens de la flèche indique quelle est la source, quelle est le puits. En généralisant à un nombre quelconque de sources et de puis, on obtient un ensemble de sommets reliés par des arcs orientés, et munis de propriétés mathématiques. Les sommets sont appelés "unités structurales" et leur nombre "degré d'organisation". Un tel graphe (graphe O-SBF) représente la topologie du système biologique (organisation fonctionnelle de l'organisme).
L'étude de ce système et ses propriétés topologiques ne constitue que l'un des aspects du travail, car il s'agit aussi de déterminer la dynamique du système biologique formel (D-SBF). En d'autres termes, représenter l'action spatio-temporelle d'une unité de structure sur une autre, c'est-à-dire déterminer l'évolution, dans le temps et dans l'espace du produit qui, émis par la source, va agir à distance sur le puits (la géométrie du système biologique est implicitement incluse dans cette représentation). L'action à distance du signal est décrite par l'évolution spatio-temporelle du champ : sa valeur en un point-puits résulte de l'action d'un opérateur de champ au point-source où le signal a été émis. Remonter d'où l'on vient

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