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Stic-Hebdo - No 4. 26 janvier 2004
Trois questions à Gilbert Chauvet
Propos recueillis par Pierre Berger

Gilbert Chauvet est 'Professeur de biologie mathématique, Faculté de médecine d'Angers

Stic-hebdo : Auteur notamment de "La vie dans la matière, le rôle de l'espace en biologie" (Flammarion 1995), vous êtes vraiment un homme "du transversal"!

Gilbert Chauvet : C'est le moins qu'on puisse dire, je suis passé du dur au mou et du mou au dur... Parti des mathématiques pures, je suis rapidement passé à la physique théorique, puis fait beaucoup de physique, avant de passer à la médecine et à travers elle à la physiologie et à la biologie. Mon approche reste celle d'un physicien qui cherche à expliquer la spécificité des lois de la vie à partir des lois de la nature. Je suis persuadé qu'avec des moyens suffisants, on pourrait faire de la biologie une science dure. Mais les biologistes n'aiment pas les mathématiques car, dès l'enseignement secondaire, on oriente dans d'autres voies ceux qui s'intéressent aux maths.

Pour autant, je ne suis pas un réductionniste, car j'intègre les mécanismes biologiques élémentaires. En physique, pour déterminer une structure, on la casse. On y consacre les budgets astronomiques exigés par les accélérateurs qui le permettent. En biologie, casser un être vivant c'est détruire l'objet même de l'étude. Ou, pour dire les choses autrement, plus un corps physique est complexe, plus il est fragile ; alors que plus un organisme vivant est complexe, plus il est stable et résistant. Mais où est vraiment la différence entre le corps vivant et son cadavre ? Puisque du point de vue thermodynamique, l'être vivant, système biologique, est un système ouvert et que les systèmes physiques peuvent aussi être dans cet état ? La thermodynamique physique n'est donc pas suffisante.

Le mot-clé (que les informaticiens emploient dans d'autres sens que moi), c'est l'intégration. D'un point de vue formel, la vie se caractérise par ses interactions fonctionnelles, non locales et non symétriques. A la hiérarchie physique, anatomique, (atome, cellule, tissu, organe...) vient s'ajouter la hiérarchisation des fonctions, de la physiologie.

Les lois de la physique nous sont données au niveau infinitésimal, différentiel, dans de très brefs intervalles de temps et d'espace. Je ne sais pas pourquoi, mais c'est ainsi. En revanche, la vie se caractérise pour moi comme une hiérarchie d'interactions fonctionnelles. Ces interactions sont analogues, dans une certaine mesure, aux forces de la physique. Mais la force est symétrique et locale, alors que les interactions fonctionnelles sont non locales et non symétriques. Ce formalisme conduit à des équations différentielles qui, par intégration (au sens traditionnel de l'analyse mathématique), permettent de construire des structures représentées par des graphes très compliqués et hiérarchiques. Elles montrent, par exemple, comment, dans le développement d'un être vivant, apparaissent des noeuds dans ce graphe, tandis que d'autres disparaissent. Elles permettent d'expliquer pourquoi des millions de réactions chimiques peuvent se dérouler de façon temporellement organisée, pourquoi certaines s'arrêtent à un moment donné pour fournir le bon produit qui ira agir sur une autre voie chimique et, de proche en proche, en fonction des contraintes de leur environnement.

Je crois en des principes généraux desquels ont peut déduire bon nombre d'observations (souvent des hypothèses, en biologie). J'ai découvert ce principe d'auto-association stabilisatrice, véritable paradigme qui explique les grandes phases de l'évolution d'un être vivant de l'embryon à la mort, de même que l'évolution des espèces au sens darwinien. Il ne peut se comprendre que dans un cadre théorique adapté, dans une représentation mathématique munie de son formalisme, une théorie de champ.

Un des organes les plus intéressants, de ce point de vue, est le cervelet. C'est lui qui coordonne les mouvements, qui est à la base du mouvement. Nous avons montré, et démontré, quels sont les mécanismes qui permettent au cervelet d'apprendre et de mémoriser des trajectoires. A la base, tout se passe au niveau des différentielles, de la cinétique chimique. En intégrant (mathématiquement), on remonte jusqu'au niveau macroscopique. Là, nous utilisons l'analyse numérique et les outils qui permettent de trouver les bonnes intégrales, en s'appuyant sur l'expérience de tous ceux qui ont travaillé cette spécialité, fourni des critères de convergence, etc. (Les outils du calcul formel seraient peut-être intéressants, mais ils butent sur la complexité des systèmes que nous décrivons, le nombre des équations associées...).

S.H. : Y a-t-il, pour vous, une rupture nette entre le physique et le vivant ? Dans ce cas, où placer les virus, par exemple. Et les virus informatique n'ont-ils pas quelque chose de biologique, puisqu'ils ont cette faculté essentielle du vivant : se reproduire de manière autonome?

G.C. : Je ne crois pas qu'il y ait une différence brutale. La différence apparaît au cours de l'évolution, en particulier ce caractère non local des interactions fonctionnelles, expression mathématique de la hiérarchie observable. Quant aux virus, pourrait-on en fabriquer qui soient capables d'une action déterminée ?

Les sciences de l'ingénierie sont beaucoup plus proches de la biologie que de la physique. Une automobile, comme un être vivant, c'est un ensemble de pièces organisées pour aboutir à des fonctions. Mais le vivant s'est construit au fur et à mesure de l'évolution, selon des principes généraux qu'il faut dégager. Et le vivant s'auto-reproduit, à la différence des machines. Il est vrai que les virus posent des problèmes nouveaux, aussi bien les virus biologiques que les virus informatiques. Mais je n'ai pas encore eu le loisir de m'y consacrer spécifiquement. Il faudrait analyser, répertorier de façon systématique les interactions fonctionnelles et repérer si la non-localité y apparaît. .

S.H. : Qu'attendez-vous des Stic (sciences et technologies de l'information et de la communication) pour le progrès de vos travaux?

G.C. : L'informatique qui m'intéresse est surtout l'analyse numérique. Elle me permet de modéliser mathématiquement la biologie, de résoudre et d'intégrer efficacement les systèmes d'équations différentielles qui sont à la base de la physique, donc de la biologie. Elle me permet aussi de déboucher sur des simulations.

A mon sens, les informaticiens qui s'intéressent aujourd'hui à la biologie s'éloignent trop des mathématiques (ce qui tient notamment à la formation qui est donnée aux jeunes informaticiens). Ce que l'on fait aujourd'hui en bio-informatique est typique : on construit des bases de données pour "décrire" les phénomènes biologiques, au mieux en recherchant les corrélations entre observations, sans en chercher l'explication en profondeur, à partir des mécanismes élémentaires de base. C'est comme si on décrivait les électrons avec des moyens informatiques sans connaître la mécanique quantique. D'autres tentent par exemple une modélisation à base de systèmes multi-agents, faisant correspondre un noeud à chaque structure. Mais cette approche est décevante, parce que les explications physiques ne peuvent se trouver qu'à un niveau plus fin, l'infinitésimal et que, par conséquent, les lois de la matière dont est fait l'être vivant ne peuvent être satisfaites.

Dans les autres équipes de recherche, certaines ont des approches d'ingénieur, qui construisent des boites noires, sans chercher les lois explicatives fondamentales. D'autres chercheurs restent au sein de la physique sans entrer dans l'analyse des fonctions... autant dire qu'ils n'entrent pas vraiment dans la biologie. Cela est très dommage car ils possèdent cette vision déductive qui permet de passer des principes généraux à une explication particulière... mais ils restent des réductionnistes. Enfin, on m'a dit que certains mathématiciens s'intéressaient à la biologie, mais à ma connaissance, ils ne sont pas assez formés à cette discipline, et particulièrement à la physiologie, science des fonctions à tous les niveaux, pour y contribuer vraiment efficacement.

Pour avancer dans la voie que j'ai tracée, il faudrait former des chercheurs qui aient une solide culture en mathématiques, en physique et en biologie. Mais ils n'auraient pas pour autant besoin d'apprendre toutes les mathématiques, toute la physique et toute la physiologie bien sûr. Il faudrait faire une sélection des points fondamentaux et pertinents de ces sciences pour arriver à pousser l'intégration en biologie. Par exemple, en mathématiques, les systèmes dynamiques d'intégration. En physique, certains principes fondamentaux qu'on n'enseigne aujourd'hui qu'aux plus hauts niveaux. Globalement, six ans suffiraient. Une fois ce cursus défini, il faudrait avoir les moyens de recruter des enseignants et d'attirer des étudiants, dans le cadre d'un laboratoire digne de ce nom. Et les spécialistes que nous formerions ainsi, avec cette culture transversale, trouveraient certainement des postes intéressants pour la suite de leur carrière scientifique ou industrielle.

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